Jacques PREVERT, Boris VIAN et Robert DESNOS. Lecture de Jean-Louis Trintignan
De ce spectacle, je n’attendais rien.
J’étais, plus tôt, à quelques minutes de ce lâcher de scène, les mains sales, sur un mur, encore affairé à le repeindre. Je n’avais rien imaginé. Je sais qui est ce Monsieur Jean-Louis Trintignan. Un acteur. Je me souviens de sa gueule, de sa voix, de son regard. Il fait partie de moi du temps où mes yeux d’enfant fixait un écran tout juste colorisé.
Le spectacle se déroule dans le théâtre de Pézenas.
Petit théâtre exquis à l’italienne du 19ème, rénové depuis peu, et, à nouveau, outil culturel. Nous sommes tous très proches de la scène, dans la confidence. Le rideau se lève. Le silence dans le public aussitôt donne la parole à Monsieur Jean-Louis Trintignan, assis dans un fauteuil, habillé de sombre. Derrière ses lunettes, on devine une excitation sourde, un plaisir d’être face à nous. Je retrouve ce visage intriguant qui me fascinait plus jeune avec son sourire aux lèvres fines, aiguisées.
A ses côtés, assis eux aussi, un violoncelliste et un accordéoniste. Les poèmes seront entrecoupés de musique et parfois même accompagnés. L’ambiance verse un peu dans la mélancolie. Les lumières peut-être… On pressent son âge dans le choix des textes de Boris Vian, de Jacques Prévert et de Robert Desnos. Et chacun a son univers qu’il est parfois facile à deviner, même si le plus souvent, il l’annonce au début du poème.
Jean-Louis Trintignan ne lit pas. Il récite par coeur, comme enfant nous le faisions aussi, devant le maître et la classe, même si, ici, c’est un peu différent, dans ce si joli théâtre de Pézenas.
La gravité des textes de Desnos nous plonge dans une intime atmosphère. Je regarde cet homme nous parler, je fixe son visage, perçoit la réalité, ses yeux, sa bouche, ses cheveux, et pourtant, les mots m’emportent dans un imaginaire, d’autres vies, un passé pesant. A l’horrible réalité de la destinée de Robert Desnos, mort au lendemain de sa libération d’un camp nazi, s’opposent et s’apposent les textes de Prévert et de Vian, souvent drôles, surréalistes, si pointus sur l’absurdité de la vie des hommes.
Et si Jean-Louis Trintignan avait voulu nous dire quelque chose, comme le cri d’un homme qui ne veut pas de ces guerres entre les hommes, soulignant dans notre quotidien des faits, des attitudes, qui les appellent. Le déserteur de Boris Vian ! En voilà un appel ! Monsieur Trintignan, vous l’avez si bien dit ! Le silence même en a baissé les armes.
Il faut certainement tout un cheminement de mots et de notes de musiques, quelques rires, un peu d’humour et de joie de vivre, avant de déclamer le dernier poème de Robert Desnos. Deux précédents poèmes nous avaient permis de comprendre la déportation de cet homme. Nous étions à Paris, rue saint martin, pendant l’occupation. Nous étions entre amis et déjà sous tension. Nous devenions inquiets à mesure que les ombres gagnaient la scène. Et dans la lumière, ce vieil homme, fragile, qui pourtant sautillait au rythme des notes de musique du violoncelle, occupant stratégiquement l’espace, le temps de le dire, cet ultime poème, devenait tragique.
J’ai rêvé tellement fort de toi,
J’ai tellement marché, tellement parlé,
Tellement aimé ton ombre,
Qu’il ne me reste plus rien de toi,
Il me reste d’être l’ombre parmi les ombres
D’être cent fois plus ombre que l’ombre
D’être l’ombre qui viendra et reviendra
dans ta vie ensoleillée.
J’ai appris deux choses ce jour-là ! Certes, il faut savoir déjà bien écrire pour être entendu. Un texte doit dire quelque chose. Desnos, Vian, Prévert, trois messagers du temps qui passe !
Et bien maintenant, je sais aussi qu’il faut une voix pour être lu comme il se doit,
une voix forte avec un grain de voix,
une voix qui a un timbre particulier, si particulier qu’elle fait entrer dans les têtes les messages comme des plis dans une boite aux lettres,
une voix qui pèse chaque mot d’un son juste,
une voix qui tire vers le haut, dans l’air, des mots si froid sur un papier si plat,
une voix inconnue, si bienveillante, qu’elle arrive à notre coeur comme une amie, une confidente,
une voix de théâtre, le rideau levé, la salle pleine, les lumières tamisées,
une voix parmi d’autres voix sans importance,
une voix porte-parole d’un texte solitaire qui ne voulait ni plaire ni se faire connaître.
Comment dans cet espace une voix peut-elle autant redonner vie à cette mort injuste ?
Comment les mots animent à ce point l’imaginaire des hommes pour rendre éternelle ce qui ne l’est plus ?
Comment est-il possible monsieur Trintignan, à votre âge, d’avoir 20 ans ? Quelle force, quel courage, quelle folie de nous raconter ces vies. Merci.